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10/07/2008

MALI - Le tandem infernal

Les Kel Tamacheq aiment bien répéter un proverbe qui se passe de tout commentaire. Celui-ci affirme que "mieux vaut ne pas avoir un père que d'être le fils du vaurien du campement". La formule est sans doute cruelle, mais elle souligne bien le handicap que peut constituer une ascendance compromettante. Celle-ci peut vous pénaliser sans même vous laisser le temps de faire vos preuves. Mais il arrive aussi que se produise la situation inverse de celle décrite par le proverbe. Il arrive que cela soit difficile pour quelqu'un d'être le père du vaurien du campement. Les faits qui viennent de se passer en Commune V constituent l'illustration de cette vérité.

Il y a une semaine, le 11è Arrondissement avait été confronté à un brusque afflux de plaintes pour vols. Ce qui intrigua particulièrement les policiers, c'était que ces plaintes provenaient toutes de boutiquiers. Ces derniers s'étaient fait dépouiller soit d'un lot important de marchandise, soit du contenu de leurs caisses. Les plaignants présentaient aussi la particularité de n'avoir aucune idée de la ou des personnes qui avaient fait le coup. Les enquêteurs qui se rendaient sur les lieux des vols se rendaient d'ailleurs vite compte que les voleurs n'avaient laissé derrière eux aucun indice qui aurait permis aux investigations d'avancer.

Dans ce genre de situation, les policiers se rendent vite compte qu'il leur faut compenser la minceur des renseignements par le flair, l'intuition et un peu de chance. L'équipe du commissaire Balla Traoré dut donc dans un premier temps se limiter à enregistrer les plaintes et surtout à prodiguer des conseils aux boutiquiers. Par expérience, les policiers savent que des vols commis à une trop grande fréquence ont le don de rendre très nerveux les victimes potentielles et même de les pousser à des attitudes regrettables.

Donc les agents recommandèrent aux plaignants d'être vigilants, mais de faire autant attention aux client réguliers qu'aux individus qui leurs paraîtraient suspects. Le chef BR, l'inspecteur Chaka Traoré, habitué aux actes de justice sommaire et à leur funeste influence, demanda en particulier aux boutiquiers de se garder de toute intervention précipitée. Un individu aux habits sales, au langage peu usuel et qui a l'air de planer sous l'influence de la drogue ne fait pas obligatoirement un coupable tout désigné.

DES MULTIPLES GRIS-GRIS : Parmi les plaignants, il s'est trouvé un cas particulier, celui d'un certain Ousmane Maïga. Cas particulier, parce que l'homme se vante de ce que depuis sa venue dans la capitale il y a une quinzaine d'années, il n'avait jamais été auparavant victime de vol. Il était tellement confiant en son système de protection qu'il lui arrivait de repartir au village en laissant sa boutique sans gardien. Quelle était cette fameuse protection ? Des multiples gris-gris que le propriétaire avait attachés aux linteaux de sa boutique et en l'efficacité desquels il avait une confiance aveugle.

C'était pourquoi Ousmane estimait inutile de faire venir un des siens du village pour prendre la relève en son absence ou d'embaucher un gardien qui serait capable de le dévaliser et de disparaître dans la nature. Lorsque Ousmane devait s'absenter pour un délai assez long, il se contentait de condamner l'entrée principale de sa boutique avec d'imposantes barres de fer posées en croix sur les battants de la porte. Comme précaution complémentaire, il demandait à ses voisins de jeter de temps en temps un œil sur son établissement.

Cette immunité de la boutique disparut le 4 juillet dernier. Dans la matinée de ce jour, Ousmane Maïga s'était rendu au Dabanani pour s'approvisionner chez son grossiste. Il effectua un nombre très important d'achats et se vit obliger de louer une Sotrama pour transporter sa cargaison de sacs de sucre, de caisses de thé, de sachets de biscuits et des cartons de cubes Jumbo. Il n'était pas loin de midi lorsque Ousmane fut de retour à sa boutique. Avec l'aide des jeunes du quartier, il procéda au déchargement de ses marchandises.

Lorsque l'opération fut terminée, le boutiquier offrit du thé et du sucre aux jeunes gens qui lui avaient donné un coup de main. Il leur demanda de lui rendre un service supplémentaire, celui de veiller sur son établissement qu'il laisserait ouvert le temps pour lui de retourner au Dabanani et embarquer le reste des marchandises laissé là-bas. Ousmane faisait entièrement confiance à la petite compagnie des jeunes. Non seulement il entretenait de très bonnes relations avec ses membres, mais en outre plusieurs d'entre eux le fréquentaient depuis leur tendre enfance.

Ousmane revint moins d'une heure plus tard. Il accepta volontiers le verre de thé que les jeunes gens lui avaient réservé et fit procéder au déchargement de la deuxième cargaison. Puis comme à l'accoutumée, il alla s'installer derrière son comptoir et mit ses cahiers de compte à jour. Entretemps, les jeunes qui l'avaient aidé étaient rentrés dans leurs différentes familles. Le boutiquier était donc seul lorsque deux garçons - que nous appellerons A. H. et H.T. - entrèrent dans la boutique pour acheter de la cigarette. Le propriétaire leur vendit les quelques mèches qu'ils demandaient et leur rendit la monnaie. Les deux jeunes ne s'éloignèrent pas trop. Ils allumèrent leurs cigarettes au fourneau que les buveurs de thé avaient laissé sous l'arbre situé en face de la boutique et se postèrent là pour fumer tranquillement.

PRÉCOCES ET INCORRIGIBLES : un moment donné, Ousmane sortit, une bouilloire à la main et se rendit aux toilettes de la famille voisine. Comme il en avait l'habitude, il laissait sa boutique sans surveillance. Les deux gosses, qui semblaient n'attendre que cela, s'empressèrent d'y entrer et se mirent à vider le tiroir. Le boutiquier revint cependant beaucoup plus vite que ses "visiteurs" ne l'avaient calculé. Il surgit au moment où les deux gamins gagnaient la sortie de la boutique. Ousmane interpella les gosses, leur demandant ce qu'ils faisaient à l'intérieur.

Le plus jeune ne s'embarrassa à donner des explications. Il voulut prendre ses jambes à son cou et disparaître. Mais c'était trop tard. Maïga l'agrippa et le fit entrer de force dans la pièce où se trouvait déjà A.H., tétanisé par la peur. Interrogés sans ménagement par le boutiquier, le tandem avoua qu'il venait de vider le tiroir de la caisse. Dans les poches des adolescents, Ousmane trouva une importante somme d'argent ainsi que plus d'une vingtaine de puces de téléphone portables.

Maïga conduisit ses prises au commissariat du quartier. L'inspecteur Daouda Tiémoko Diarra prit en charge les deux garçons à qui il demanda les coordonnées et les adresses de leurs parents. L'interrogatoire permit d'apprendre que H.T. est originaire de Sikasso. Après moult problèmes avec sa famille à cause de sa délinquance précoce, le gamin avait fui les siens pour se rendre à Bamako. Là, comme beaucoup de gamins de son âge, il avait décroché une place d'apprenti de Sotrama. Mais il ne tint que quelques semaines dans ce rôle. Le chauffeur avec lequel il travaillait le renvoya pour vols et détournement de recettes.

Quant à A.H., ses parents sont depuis fort longtemps fixés à Bamako, où il est né et où il a grandi. Lui aussi fut un délinquant précoce, ainsi que put se rendre compte son père qui lui infligea des punitions physiques terribles avant de le décréter incorrigible. Malgré les coups dont on l'accablait, le gamin ne cessait de dérober les sous de sa mère et ne se privait pas de pénétrer souvent dans les familles voisines pour y perpétrer des larcins. Exaspères par son comportement, ses parents se détournèrent de lui et se désintéressèrent complètement de son sort.

Comme son compagnon de délinquance qu'il rencontra par le plus grand des hasards, A. H erra longtemps dans la ville. Puis les deux amis se firent accueillir par le Centre pour enfants en difficulté de Caritas Mali à Quizambougou. Après quelques semaines d'apprentissage à un métier, nos deux compagnons abandonnèrent le centre pour se retrouver dans l'enceinte de la Tour de l 'Afrique. C'est dans la cour de ce monument que A. H et H T passaient la nuit. Le jour ils se lançaient dans les vols des boutiquiers et surtout des téléphones portables. Les puces retrouvées sur eux provenaient d'appareils volés et vendus à des prix dérisoires. Ils profitaient du fait que leur jeune les rendaient insoupçonnables aux yeux de leurs victimes.

Tous deux ont été déférés au parquet de la Commune V avant sûrement d'être envoyés au Centre pour femmes et mineurs de Bollé. L'histoire ne dit pas si depuis sa mésaventure Ousmane a renforcé ses fétiches. Ces derniers n'ont pas été totalement inefficaces puisque si les voleurs ont effectivement pu se servir dans la caisse, ils n'ont pas eu la possibilité de repartir avec leur butin. Au boutiquier de juger maintenant si avec ce qui s'est passé, la bouteille est à moitié pleine ou à moitié vide.

Source: Maliweb (Mali)

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