Code corrigé :

10/07/2008

CAMEROUN - Rapts d'enfants et manipulations à Taïbong

13 juin 2008, des ossements de dix personnes kidnappées dans les villages Pitoa I, II et Sadong sont retrouvés. Depuis lors, des informations les plus folles circulent, annonçant de nouveaux enlèvements qui s'avèrent factices. Face aux informations contradictoires, une incursion s'imposait dans cet arrondissement du Mayo-Kani à la lisière du Tchad.

C'est une localité paisible qu'on découvre mercredi 02 juillet au matin. Sur les principales pistes qui mènent à Dziguilao, le chef lieu de l'arrondissement de Taïbong, ce sont des files d'hommes, femmes et enfants, canaris et fagots de bois sur la tête, qui prennent le chemin du marché hebdomadaire qui se tient tous les jeudis. L'un des marchés les plus prisés de la région en raison de l'importante activité pastorale et cotonnière ici. Un espace qui, de l'avis du commandant de la brigade locale de gendarmerie, est propice à l'émergence du grand banditisme.

Ousmanou Y. habitant de Sadong signale d'ailleurs, qu'" il y a quelques mois, quand vous veniez ici, il y avait de nombreux troupeaux de bÅ"ufs que les Bororos faisaient paître. Mais, avec les nombreuses attaques qui visaient essentiellement les éleveurs, ils sont partis vers l'intérieur du pays, où la sécurité est meilleure. " Ce départ massif des éleveurs postés le long de la frontière Tchado-camerounaise a conduit les ravisseurs qui y avaient trouvé un espace de rente, à s'attaquer aux quelques éleveurs et aux populations de l'arrondissement. Ce qui explique les dernières razzias qui ont conduit à l'enlèvement et l'assassinat de dix personnes au mois de mai. Un incident qui reste frais dans les mémoires. "C'est vrai que depuis ce dernier coup, il n'y a pas eu de nouvelles attaques. Mais nous restons dans l'anxiété. Les familles dont les membres ont été égorgés n'ont pas encore oublié le malheureux évènement. Mais nous nous organisons pour que des actes de la sorte ne se répètent plus", explique le 1er adjoint au maire de Dziguilao.

Michel Ayang, un autochtone en service à la sous-préfecture de Dziguilao se rappelle qu' " en mars 2008, les ravisseurs sont venus à Bitou où ils ont exigé de Yormane, du bétail et un million de francs. Dans le même temps, ils ont tapé sur le chef de Bitou qui n'avait que 6.000 Fcfa. Le 10 mai, ils sont venus à Pitoa I et ont pris trois enfants. Le 14 mai à Pitoa, ils ont enlevé six personnes. A Sadong le 16 mai, ils ont pris 4 personnes. Ils ont exigé le paiement de 15 millions de francs comme rançon. Des douze personnes arrêtées, deux ont été relaxées, une a échappé à la vigilance des ravisseurs. Autour du 20 mai, les otages qui restaient ont été exécutés. Et c'est le 14 juin dernier, au cours d'un ratissage organisé par les familles des personnes enlevés et les forces de l'ordre que les ossements des personnes exécutées vont être retrouvés, parce que les corps étaient décomposés.

Il y a quelques jours, ajoute-t-il, le chef de zone Sodecoton Waibe a signalé que deux de ses bergers ont été enlevés en compagnie de deux autres bergers et du fils de Djabé Wangribelé, agro-éleveur à Ngoundaï. Mais il semble que M. Waibé a payé une rançon de cinq millions et ils ont tous été relaxés. Depuis lors, plus rien. " Un récit corroboré par Hinsala I., cultivateur à Lamtare. Pour lui, comme pour le chef du village Sadong, " on a égorgé les premières personnes, parce que parmi les gens du village, les bandits ont leurs complices et ils ne nous ont pas aidés à retrouver nos frères qui ont été enlevés. Maintenant qu'ils sont sur le point d'être démasqués, ils font propager des nouvelles selon lesquelles on a enlevé des enfants dans notre arrondissement alors qu'il n'en est rien. "

Manipulations

A Ngoundaï, Saliou Ousman, un commerçant, est pantois quand on lui demande des informations sur un éventuel enlèvement qui aurait eu lieu. " Il y a eu une rumeur d'enlèvement de bergers. Pour les enfants, il n'en est rien. Il n'y a aucune famille qui déclare avoir été victime d'un enlèvement". Yerima, habitant de Bitou, confirme et s'étonne de ce que des informations comme celles là circulent pour attrister davantage les populations qui ont été traumatisées par l'assassinat des leurs. Ces évènements, comme le reconnaissent les populations du coin, donnent lieu à des manipulations de tous ordres, motivées par les batailles feutrées pour le contrôle de la chefferie de Mbrodong et qui opposent les communautés Peulhs et Toupouris. Mais aussi par le rôle trouble de quelques habitants du coin et des autorités dans cette région dont est originaire Dakolé Daïssala, président national du Mdr.

Le 3ème bataillon d'intervention rapide de Maroua, une unité spéciale de l'armée, a pour sa part pris ses quartiers à Sadong, non loin de Pitoa I et II. Chaque jour, des éléments de cette unité patrouillent le long de la frontière et décryptent les faits et gestes des populations qui vont et viennent. Ils bénéficient du soutien des comités de vigilance mis sur pied dans la vingtaine de Lawanats (petites chefferies), bien avant l'assassinat de dix personnes. A Mbrodong, cet état de choses ne rassure toujours pas les populations qui restent craintives et sont plongées dans l'émoi à l'écoute du moindre cri d'un enfant dans le village. La psychose créée par les assassinats, ainsi que le relève les notables du chef Toupouri Walkissam, est loin d'être terminée. Les familles craignent en effet que des enfants soient à nouveau enlevés.

Le préfet du département du Mayo-Kani, Otto Wilson, se veut rassurant surtout en rapport avec les informations relayées dans la presse ces dernières semaines. "Il n'y a pas eu d'enlèvement après l'assassinat des dix personnes dont les corps décomposés ont été retrouvés. Quel intérêt avons-nous à dissimuler cette information ? Allez sur le terrain pour prendre la mesure de ce qui se passe. Il y a juste un sentiment de peur chez nos populations. Mais il y a que des manipulations de tous ordres même politiciennes, peuvent amener des gens à avancer des informations, sans même les avoir vérifiées au préalable. Les éléments du Bir sont sur le terrain et veillent vraiment à la sécurité des personnes et des biens", relate le préfet. Selon le lieutenant-colonel Joseph Nouma, commandant du 3ème bataillon d'intervention rapide de Maroua, " n'eût été les mauvaises informations données par les populations, nous aurions pu éviter la tuerie des dix personnes. Mais nous sommes maintenant assez présents sur le terrain en ce moment pour qu'il y ait d'autres attaques des ravisseurs. Nous nous employons en tout cas pour les éviter."

L'arrondissement de Taïbong, pour l'heure, est calme, même si l'anxiété d'une éventuelle attaque des ravisseurs dans cette zone où la frontière reste poreuse, est encore perceptible. Mais serait-ce suffisant pour faire croire que des enlèvements d'enfants ont eu lieu, alors qu'il n'en était rien ? Même l'évêque de Yagoua qui avait été informé d'un enlèvement de douze enfants s'est ravisé. La tournée que Barthelemy Yaouda entendait effectuer dans le coin a été annulée parce que l'information, avouera t-il, n'a pu être confirmée.

Source: Le Quotidien Mutations (Yaoundé)

Aucun commentaire: