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03/07/2008

FRANCE - Une succession peu fraternelle au Grand Orient


Qui sera élu grand maître de la première obédience française ? Deux candidats s'affrontent dans une lutte d'hommes et de rites où tous les coups sont permis.
" Cette guerre des rites est intolérable!" Et Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand Orient de France (GO), 55 ans, d'ajouter: "Ma succession est difficile." La première obédience française, avec 48 000 frères, se transforme en pétaudière, avec ses coups bas, ses intrigues et ses accusations les plus infâmes.

"Attaque frontale d'antisémitisme"

L'élection du nouveau grand maître aura lieu le 4 septembre, en marge du convent de Lyon, par les 35 conseillers de l'ordre. L'affrontement prend la forme d'un duel entre le Marseillais Pierre Lambicchi, cardiologue libéral de 59 ans, et le Toulousain Jean-Paul Bouche, avocat de 52 ans.

Si Lambicchi est socialiste, Bouche se dit radical de gauche, mais a soutenu Jean-Luc Moudenc (UMP) aux dernières législatives. Le premier pratique le rite français (RF) ; le second, le rite écossais ancien et accepté (REAA). Deux systèmes de règles qui ont leur propre hiérarchie.

Avant le 14 juin, Jean-Paul Bouche n'était pas le candidat favori des "écossais", qui lui préféraient le chirurgien messin Yves Jacob, ancien grand secrétaire aux affaires extérieures du GO. Mais celui-ci a été éliminé dès l'épreuve du congrès régional.

Trois jours avant le vote, un libelle anonyme était arrivé dans la boîte aux lettres des "frères" : "Nous avons connu le complot judéo-maçonnique. Nous découvrons aujourd'hui le soutien judéo-écossais, puisque les frères de confession juive sont sollicités pour soutenir [la] candidature [d'Yves Jacob]." "Jusqu'à ce jour, j'avais échappé à une telle attaque frontale d'antisémitisme", écrit l'intéressé dans un message à ses frères.

Sexiste le Grand Orient?

Il est vigoureusement soutenu par l'ancien "très puissant souverain grand commandeur" du suprême conseil du REAA, Alain de Keghel. "Je vais saisir la Halde [Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité]", annonce celui-ci.

Révolté que son candidat, Yves Jacob, ait été éliminé, Keghel appuie Jean-Paul Bouche et se lance dans une croisade. "Tout sauf Lambicchi !" "Il représente tout ce que je dénonce: la perte de repères maçonniques, un clanisme singulier qui exclut la liberté absolue de conscience, la volonté de faire du GO une obédience repliée sur le rite français", assène Keghel.

Son homologue du rite français, Jacques-Georges Plumet, "très sage et parfait grand vénérable" du Grand Chapitre général du GO, soutient, au contraire, que, "si Lambicchi est élu, il voudra montrer son indépendance à l'égard du rite français."

L'ancien diplomate Alain de Keghel, désormais sans langue de bois, accuse aussi l'ex-grand maître du GO Philippe Guglielmi de mettre ses réseaux au service de Lambicchi. "Que les anciens grands maîtres favorisent tel ou tel candidat, c'est normal", réplique Quillardet.

Il est vrai que Guglielmi ne s'en prive pas. Le 17 juin, il a réuni les conseillers parisiens de l'ordre afin de leur indiquer le bon choix. Celui de Lambicchi. Il y a deux mois, il a déjeuné avec Jean-Michel Quillardet, l'ancien grand maître Bernard Brandmeyer et Jean-Paul Bouche. Quillardet et Guglielmi, le premier étant toujours l'avocat du second, ont incité Bouche à différer sa candidature à la grande maîtrise "dans l'intérêt de l'obédience"!

Lambicchi-Bouche, RF contre REAA ?

Jacob éliminé, bien des "écossais" se sont décidés à soutenir Bouche, même si Keghel confie qu'il "n'est pas un parangon de vertu". Premier grand maître adjoint pour l'année 2004-2005, Bouche avait qualifié de "rapport de qualité" une étude juridique payée 42 208 euros par le GO et que beaucoup trouvaient indigente. Cela lui a valu d'être entendu près de trois heures par la brigade financière de Paris.

Aujourd'hui, il regrette, dit-il, d'avoir présenté au GO l'auteur du rapport, une ex-clerc de notaire toulousaine avec laquelle il affirme avoir coupé les ponts.

Plus embarrassant pour lui, les frères de la Ville rose se transmettent discrètement une ordonnance de référé du tribunal d'instance de Saint- Gaudens (Haute-Garonne) qui condamne Jean-Paul Bouche à payer 6 915,80 euros pour des arriérés de loyers. Le propriétaire estime aujourd'hui la dette à 15000 euros. Dans un courrier du 30 janvier 2008, un huissier toulousain indique qu'il n'a reçu "que des menaces et des insultes" en lui présentant "le commandement de payer aux fins de saisie immobilière". "Un torchon à classer verticalement", réagit Me Bouche. Il ne conteste pas sa dette, mais qualifie cette affaire de "privée" et affirme que son bâtonnier le soutient.

Le duel Lambicchi-Bouche est-il gagné d'avance pour le premier, soutenu par l'establishment franc-maçon? Guglielmi assure que Lambicchi aura les voix de 24 conseillers de l'ordre. Bouche jure qu'il en aura au moins 19 et conseille à son adversaire d'"apprendre à compter." Il n'y a en effet que 35 électeurs !

Quel que soit le vainqueur, il aura à régler l'épineux dossier de la mixité. Le 5 juillet, cinq loges du GO devraient être suspendues pour avoir osé initier des femmes, il y a quelques semaines, dans cette obédience d'hommes. Le convent de septembre risque fort, à nouveau, de ne pas reconnaître la liberté des loges d'initier des femmes. Les avant-gardistes pourraient alors faire condamner la Rue Cadet par la justice profane pour discrimination. Laquelle apparaîtrait, du coup, encore plus ringarde.

Source: L'Express (France)

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